Il existe plusieurs modèles de cartographie des étapes de maturité de la culture sécurité.

Tous utilisent des notions savantes tels que réaction, dépendance, interdépendance, proactif, intégré, organisationnel, visionnaire, fataliste, pathologique, calculatif, génératif, et j'en passe...

Difficile d'y voir clair.

(Relisez à ce sujet notre article sur la malédiction du savoir et la difficulté de faire simple).

Quitte à être un peu simpliste, je vous propose ici un modèle compréhensible et facile à utiliser en entreprise.

Il répond à la question suivante :

"Qui, dans ton environnement professionnel, est en charge d'assurer ta sécurité, et de faire en sorte que tu te blesses moins demain qu'hier ?"

les différentes étapes de maturité de la culture sécurité

Personne

Le premier stade de maturité est l'absence totale de culture sécurité.

Le zéro absolu de la prévention.

Dans les entreprises qui vivent ce stade de maturité, vous entendrez des phrases comme "les accidents sont inévitables", "on ne fait pas d'omelette sans casser des œufs", "c'est le métier qui rentre" ou encore, mon préféré et néanmoins glaçant :

"Un bon ouvrier voit son sang tous les jours."

A ce stade, se blesser fait partie des choses normales, la sécurité n'est pas un sujet, ni pour la direction, ni pour les équipes. Elle ne l'est pour... personne.

Le boss

Ici, la sécurité devient un sujet, mais uniquement pour la Direction, et encore... très épisodiquement.

Lorsqu'un accident grave survient, la Direction veut montrer qu'elle fait quelque chose.

Sa motivation ? ne pas avoir de problème avec les "autorités", que celles-ci soit la Direction Générale, l'actionnaire, l'inspection du travail ou la Gendarmerie...

Et dès que la "menace" s'éloigne, tout le monde se remet au travail - le vrai travail - qui consiste à produire, livrer, etc...

En général, les informations remontent peu, il faut que l'accident soit grave pour que l'information circule ; les autres incidents, soins et presqu'accidents restent sous les radars.

On constate également à ce stade une méconnaissance générale des résultats sécurité. Demandez à la cantonade quelles sont les circonstances du dernier accident, et vous aurez autant de versions que de personnes qui vous répondent. Sommes-nous meilleurs ou pires que nos voisins, ou que la moyenne de notre industrie ? aucune idée.

De même, la conscience du risque est faible, et opérationnels et managers le minimisent allègrement en comptant sur leur bonne étoile. D'ailleurs, on n'a rien vécu de grave ces 10 dernières années, c'est bien la preuve que nos équipes sont professionnelles et savent ce qu'elles font !

Eux

A ce stade, si je demande qui est en charge de faire en sorte qu'on se blesse moins demain qu'hier, on me désignera "quelqu'un" du doigt, souvent une personne ou une équipe qu'on aura nommée pour être "responsable" de la sécurité.

C'est "eux".

Managers et opérateurs ont délégué à cette nouvelle ressource les tâches ingrates liées à la sécurité. Elle seule porte les principes généraux de la prévention édictés par le Code du Travail ; et si le site est certifié, elle se battra souvent seule pour éviter les non-conformités.

Caricature ? pas tant que ça...

La bonne nouvelle, c'est qu'au moins la sécurité commence à devenir un sujet dans l'entreprise, traduit dans les faits par des plans d'actions techniques, des règles et des procédures.

Les mots clés à ce stade sont conformité et exigence :

Je porte mes EPI parce qu'il le faut, je rédige un plan de prévention parce que je n'ai pas le choix, je ne conduis pas un chariot sans autorisation car je ne veux pas avoir d'ennui...

Bâton et carotte sont les deux principaux leviers de motivation utilisés : si tu ne respectes pas une règle non négociable, gare à toi ; si l'équipe bat un record sécurité, elle sera récompensée.

Les informations commencent à remonter, les situations dangereuses et les presqu'accidents sont de plus en plus partagés, même si on ne se bat pas encore au portillon pour faire avancer les actions.

Bref, la maturité de la culture évolue, mais la sécurité reste perçue comme une somme de contraintes qui m'empêchent potentiellement de faire mon "vrai" travail.

Moi

Ca y est, la sécurité n'est plus perçue comme une contrainte, mais comme une valeur individuelle.

Qui est en charge de s'occuper de ma sécurité ? c'est moi !

Si j'analyse les risques avant mon opération spécifique, ce n'est pas parce qu'on exige que je replisse un document, mais parce que j'ai intégré que cette exercice est important pour moi, qu'il peut me sauver la vie.

Bâton et Carotte ne sont plus les principaux leviers de motivation des managers (voir notre article sur les leviers de motivation).

Les rituels et outils de prévention font sens pour chacun d'entre nous, et on ne vise plus la quantité mais la qualité d'utilisation de ceux-ci...

Chaque presqu'accident est vu comme une opportunité d'apprentissage, et personne n'a peur de partager sa dernière frayeur, au contraire !

Nous

Le "nous", c'est le "moi" avec une cerise on the top.

Le Graal... l'inter-vigilance tant espérée par tous les préventeurs...

Non seulement je vais faire attention à moi, mais je vais aussi faire attention à mon collègue. S'il se met en danger, je n'aurai pas peur de lui dire, et lui de son côté, me dira merci...

A ce stade, la sécurité n'est plus une question qui se pose, elle est devenue une valeur collective forte, elle fait partie intégrante de la façon dont l'équipe opère. C'est son ADN.

les différentes étapes de maturité de la culture sécurité

Quelques conseils :

Sachez d'où vous partez : avant de bâtir votre feuille de route, ayez la lucidité (et l'humilité) de savoir où vous en êtes à l'instant t.

Ne brûlez pas les étapes : je vois des entreprises déployer des programmes visant à développer l'inter-vigilance (le "nous") alors qu'elles n'ont pas encore bâti un "eux" robuste. Vous ne saurez pas faire de la sécurité une valeur partagée si vous n'avez pas au préalable développé un système solide avec des règles claires et la capacité à les faire respecter.

Gardez le cap, c'est un marathon, pas un sprint : cheminer sur cette courbe de maturité prend du temps, et une fois dans le "eux", sachez que vous allez y rester des années avant de voir la valeur sécurité se développer. Cette étape est nécessaire. Et la quantité d'outils déployés pour avancer n'est pas un gage de succès, cherchez à faire bien, pas à faire beaucoup (voir notre article sur le sujet)

Evitez les copier-coller : ce n'est pas parce que des outils ont fait leurs preuves ailleurs qu'ils seront la panacée chez vous. Relisez à ce sujet notre article sur le sujet.

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