J'ai eu récemment le plaisir d'accompagner les managers d'un groupe industriel dans le déploiement d'une nouvelle routine de management de la prévention.

L'outil est connu sous différents noms, "5 minutes avant d'agir", "STOP", "LMRA" (Last Minute Risk Assessment), ou encore "Minute papillon"...  mais son principe est toujours le même : systématiser l'analyse des risques avant toute activité inhabituelle.

Or, si la plupart du temps l'utilisation de l'outil est simple, le succès de son déploiement dépend de conditions plus complexes à réunir.

Cet article vous propose quelques pistes de réflexion pour que vos équipes s'approprient réellement ce fabuleux outil de prévention.

Trois conditions pour un lancement réussi

Mettons-nous un moment à la place d'un opérateur, ou d'un électricien de maintenance, à qui on demande dorénavant de remplir un mini-formulaire d'analyse des risques avant toute activité qui sort de l'ordinaire.

Qu'est-ce qui nous motiverait à utiliser ce nouvel outil ? Ou au contraire, qu'est-ce qui pourrait nous inciter à laisser tomber l'outil, ou à en bâcler l'utilisation ?

1) Exemplarité et exigence du manager

L'idéal serait de réussir à convaincre vos collaborateurs que l'outil est utile, qu'il peut éviter des accidents, sauver des vies, etc... C'est vrai.

Mais la résistance naturelle aux changement lutte contre vous. Il va donc vous falloir du temps, beaucoup de temps, et de la salive. Beaucoup.

Alors plutôt que mettre 100% de votre énergie à convaincre que l'outil est important pour eux, démontrez que son utilisation est importante pour vous. Pour cela, deux pistes à suivre : l'exemplarité et l'exigence.

Exemplarité : soyez l'ambassadeur de l'outil, utilisez-le vous-même, soit pour des opérations que vous allez mener, soit en assistant vos collaborateurs dans l'analyse de leur activité. Dans tous les cas, montrez que vous êtes fan de cet outil d'anticipation !

Exigence : lors de vos tours d'ateliers, démontrez par votre questionnement ce que vous attendez de vos collaborateurs. Attention, piège : poser la question fermée "As-tu fait ton analyse de risques ?" renforce l'idée que l'outil est obligatoire, non pas parce qu'il est utile, mais parce qu'il est... obligatoire. Posez plutôt des questions ouvertes qui donnent du sens à l'outil :

Tiens, je constate que tu fais quelque chose d'inhabituel, quel est le risque le plus important que tu as mis en évidence lors de ton analyse ?

De deux choses l'une : soit votre collaborateur n'a pas fait d'analyse, et c'est une bonne occasion de le faire avec lui (exemplarité) et d'en démontrer l'utilité, soit il l'a faite et a identifié un risque, et c'est une opportunité de faire un feedback positif. A tous les coups on gagne !

2) Simplicité

Un formulaire simple et accessible : pas d’informatique, pas de classeur à l'autre bout de l’atelier. J'ai vu des usines où les opérateurs avaient sur eux un petit carnet à souche très facile à utiliser. Un must !

Un nom qui parle : j'aime les outils qui portent un nom qui dit ce que ça fait. Une conversation sécurité, un quart-d'heure sécurité, etc... Evitez si possible les termes anglo-saxons dans les usines françaises, même si le Groupe est international, car cela renforce l'idée que l'outil n'est pas une initiative usine, mais est imposé par le siège. D'ailleurs, choisir un nom de baptême est une bonne opportunité d’appropriation par les équipes locales. Si le nom est un acronyme, assurez-vous que tout le monde en connait la signification.

Une règle claire sur les opérations qui appellent une analyse des risques : souvent le plus difficile n'est pas de réaliser l'analyse, mais de savoir QUAND il faut la réaliser. Dit autrement, il est nécessaire de clarifier ce que signifie une opération "inhabituelle".

Qu'est-ce qu'une opération inhabituelle pour un mécanicien de maintenance, qui par définition passe une grande partie de son temps à intervenir sur des pannes inattendues ?

C'est au manager du service, par ses feedbacks réguliers, de définir où placer le curseur. En acceptant que le curseur ne sera pas nécessairement placé au même endroit pour un opérateur sur ligne, pour un cariste, pour un dépanneur, pour un technicien méthodes...

3) Utilité

Pour que l'outil d'analyse des risques perdure dans le temps, les utilisateurs doivent constater qu'il est utile, pour eux ou pour l'organisation.

Voici deux pistes pour renforcer ce sentiment d'utilité de l'outil :

Un risque identifié à plusieurs reprises pour une même opération est le signe que cette opération n'est pas si "inhabituelle" que ça, et il serait logique que la consigne de travail en sécurité ou la procédure soient enrichies et qu'un feedback soit donné aux opérateurs concernés.

Autre bonne pratique : lors de vos communications basées sur les flashs sécurité, pensez à vous interroger tous ensemble sur la façon dont cet outil d'analyse des risques vous aurait, dans votre périmètre, permis d'anticiper le risque.

Les pièges à éviter

Le biais d'optimisme

Un des biais cognitifs qui pollue l'analyse de risques est notre propension à sous-estimer les risques qui nous concernent. Notre inconscient a la fâcheuse tendance de vous faire croire que les accidents n'arrivent qu'aux autres...

Dans la mesure du possible, faites les analyses à plusieurs, nommez un avocat du diable ou réalisez une analyse pre-mortem, même rapide.

Placer votre curseur interne sur "pessimiste", imaginez volontairement que l'opération que vous vous apprêtez à faire s'est mal passée, et demandez vous ce qui a bien pu mal tourner.

Le reporting quantitatif

Pour lancer l'outil, certaines organisations fixent un objectif quantitatif du type "x analyses par personne et par mois". Leur démarche part du principe qu'il faut d'abord inciter les équipes à l'utiliser, et que lorsque cela deviendra un réflexe, il sera alors temps de travailler la qualité d'utilisation de l'outil.

Cette façon de faire est légitime et peut fonctionner, à condition que les managers de proximité veillent à ce que l'outil soit utilisé avec intelligence. Cependant, je recommande de l'éviter car elle renforce l'idée qu'il faut "faire du chiffre", surtout quand personne ne sait comment a été décidé cet objectif.

Si vous souhaitez (ou si on vous impose de) mesurer la quantité, fixez plutôt un objectif chiffré par service, attribué uniquement au manager, en lui donnant la responsabilité de dynamiser lui-même la démarche (sans décliner ce chiffre en un nombre d'analyses par personnes !). A lui de fixer son niveau d'exigence au cas par cas en fonction des missions de chacun.

Puis, surtout, lancez la démarche "qualitative" le plus vite possible.

L'incitation financière

Pour motiver les équipes à utiliser l'outil, certaines entreprises proposent aussi une prime, un bonus. Attention, c'est une autre façon de motiver à faire de la quantité. Vous vous assurez probablement que le nombre d'analyses sera au rendez-vous, mais concernant l'impact sur la culture sécurité, c'est une autre histoire.

Si vous souhaitez mettre en place une incitation, je recommande que le critère de déclenchement soit qualitatif, et que l'incitation ne soit pas purement financière : une carte cadeau, une pizza-party, un article dans le journal interne, un don à une association, ou tout autre signe de reconnaissance seront préférables à une simple prime...

En résumé

Pour que les acteurs de la sécurité s'approprient l'outil d'analyse des risques, celui-ci ne doit pas seulement être simple d'utilisation. Les managers doivent aussi faire preuve d'exemplarité et d'exigence, et démontrer que l'outil est utile aux opérateurs et à l'organisation. Veillez également à mettre en place les conditions qui permettent d'éviter le biais d'optimisme, et inciter davantage la qualité que la quantité.

Nous pouvons vous aider à réussir le lancement de vos outils de prévention.

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